Le 18 juillet 1875, à Tondo, un quartier populaire de Manille, naissait Marina Dizon y Bartolome, une femme qui allait marquer l’histoire des Philippines par son engagement révolutionnaire. Fille de patriotes, membre active de la société secrète Katipunan, elle a été de tous les combats pour l’indépendance de son pays. Pourtant, son nom reste méconnu, éclipsé par ceux des héros masculins de la révolution. Il est temps de rendre hommage à cette pionnière de la liberté.
Une enfance forgée dans le creuset du patriotisme
Marina Dizon a grandi dans une famille où l’amour de la patrie était une valeur cardinale. Son père, Jose Dizon, était l’un des treize martyrs de Bagumbayan, ces héros nationaux exécutés par les Espagnols en 1897 pour avoir défié la domination coloniale. Sa mère, Roberta Bartolome, lui a inculqué très tôt le sens du devoir et du sacrifice.
Orpheline de mère à huit ans, Marina est recueillie par sa tante Josefa Dizon, la mère d’Emilio Jacinto, un autre grand nom de la révolution philippine. C’est dans cet environnement imprégné de ferveur nationaliste que la jeune fille forge ses convictions. Elle étudie dans une école privée, puis dans une école publique où elle rencontre son futur mari, Jose Turiano Santiago. Mais c’est surtout dans les arts qu’elle s’épanouit : musique, peinture, chant… Marina est une artiste accomplie.
L’éveil révolutionnaire au sein du Katipunan
En 1893, à seulement 18 ans, Marina Dizon franchit un pas décisif : elle est initiée au Katipunan, la société secrète qui prépare la révolution contre l’occupant espagnol. Introduite par son cousin Emilio Jacinto, elle fait partie des premières femmes à rejoindre ce cercle clandestin, au côté d’Andres Bonifacio, le fondateur du mouvement.
Au sein du Katipunan, Marina s’implique sans réserve. Elle préside les rites d’initiation des nouvelles recrues féminines, conserve les archives de l’organisation, enseigne la constitution et les principes révolutionnaires. Son engagement est total, sa foi inébranlable. Aux femmes qui rejoignent la cause, elle répète inlassablement : « Soyez toujours joyeuses, ne montrez aucun signe de rébellion. Soyez prêtes à devenir orphelines et veuves. Soyez braves et continuez la lutte ».
Malgré la clandestinité, Marina ne se départit jamais de son optimisme et de sa détermination. Elle sait que la révolution exigera des sacrifices, mais elle est prête à les assumer. Lorsque son père est exécuté en 1897 et que son mari est arrêté, elle n’hésite pas un instant : elle brûle toutes les archives du Katipunan pour éviter qu’elles ne tombent aux mains des Espagnols. Puis elle vend tous ses biens pour soudoyer les geôliers et obtenir la libération de son époux.
L’exil et la poursuite du combat
Après la découverte du Katipunan par les autorités en 1896, la répression s’abat sur les révolutionnaires. Marina et son mari sont contraints à l’exil intérieur, se réfugiant à Meycauayan, puis à Tarlac. Mais même dans ces circonstances, elle ne renonce pas à la lutte.
Lorsque les hostilités s’apaisent, Marina se sépare de son époux et part s’installer à Bamban. De son côté, Jose Turiano Santiago retourne à Manille pour travailler comme comptable. Mais il est vite soupçonné d’activités subversives et un mandat d’arrêt est lancé contre lui. Pour échapper à la prison, il fuit à Hong Kong, laissant Marina seule aux Philippines.
Malgré l’éloignement et les épreuves, Marina Dizon ne perd jamais espoir. Elle sait que l’indépendance des Philippines est un combat de longue haleine, qui se gagnera autant par la détermination quotidienne que par les grandes batailles. Lorsque son mari revient au pays, elle se réconcilie avec lui et poursuit son engagement à ses côtés.
L’héritage de Marina Dizon
Marina Dizon s’est éteinte le 25 octobre 1950, à l’âge de 75 ans, dans une relative obscurité. Son nom ne figure pas au panthéon des héros nationaux philippins, aux côtés d’Andres Bonifacio ou d’Emilio Aguinaldo. Pourtant, son rôle dans la révolution a été crucial, tant par ses actions concrètes que par l’exemple qu’elle a donné.
En rejoignant le Katipunan dès 1893, Marina Dizon a ouvert la voie à l’engagement des femmes dans la lutte pour l’indépendance. Elle a montré que le patriotisme et le courage n’étaient pas l’apanage des hommes, que les Philippins, toutes et tous, pouvaient et devaient prendre leur destin en main. En brûlant les archives du mouvement, elle a aussi fait preuve d’un sens aigu des responsabilités et du sacrifice.
Mais surtout, Marina Dizon incarne ces milliers de révolutionnaires anonymes sans lesquels aucune victoire n’est possible. Ces hommes et ces femmes qui, loin des livres d’histoire et des statues de bronze, ont donné leur vie et leur jeunesse pour un idéal. Ces héros du quotidien qui ont maintenu vivante la flamme de la résistance, dans la clandestinité des refuges et la chaleur des foyers.
Aujourd’hui, alors que les Philippines continuent de lutter pour leur souveraineté et leur dignité, l’héritage de Marina Dizon est plus actuel que jamais. Son parcours nous rappelle que l’indépendance n’est jamais un acquis définitif, mais un combat sans cesse renouvelé. Que la liberté se conquiert autant par les armes que par les idées, les arts, l’éducation. Et que ce sont souvent les héroïnes et héros de l’ombre qui font basculer le cours de l’Histoire.
Alors en ce 18 juillet, jour anniversaire de sa naissance, souvenons-nous de Marina Dizon. Honorons cette fille, épouse et révolutionnaire exemplaire. Inspirons-nous de son courage, de son abnégation, de sa foi inébranlable en la cause qu’elle défendait. Et surtout, œuvrons à bâtir ce pays libre et juste dont elle a rêvé, ce pays pour lequel elle a tout sacrifié. Car c’est ainsi, en marchant dans les pas des géants qui nous ont précédés, que nous serons dignes de leur héritage.
Chronologie de la vie de Marina Dizon
- 18 juillet 1875 : Naissance à Tondo, Manille
- 1883 : Décès de sa mère Roberta Bartolome, recueillie par sa tante Josefa Dizon
- 1893 : Initiée au Katipunan, devient l’une des premières femmes membres
- 1896 : Découverte du Katipunan par les autorités espagnoles, début de la répression
- 1897 : Exécution de son père Jose Dizon, un des 13 martyrs de Bagumbayan
- 1897 : Arrestation de son mari Jose Turiano Santiago, qu’elle fait libérer en vendant ses biens
- 1897 : Exil à Meycauayan, puis à Tarlac avec son mari
- 1898 : Séparée de son époux, s’installe à Bamban pendant qu’il fuit à Hong Kong
- 1898 : Fin de la domination espagnole, mais début de l’occupation américaine
- Début 20e : Réconciliée avec son mari, poursuit le combat pour une véritable indépendance
- 25 octobre 1950 : Décès à Manille à l’âge de 75 ans