On en parle de plus en plus, et pourtant elle reste tenace : la rivalité féminine en entreprise continue de gangréner les relations de travail et de freiner l’épanouissement professionnel de nombreuses femmes. Harcèlement, sabotage, rumeurs… Loin des clichés de « guerre des poules », ces comportements toxiques prennent racine dans les insécurités et inégalités que subissent encore les femmes dans le monde du travail.
C’est ce que démontre brillamment la journaliste Racha Belmehdi dans son essai coup de poing « Rivalité, nom féminin ». Après avoir été elle-même victime de harcèlement de la part d’une manageuse, elle a voulu comprendre pourquoi tant de femmes « se tirent dans les pattes » au lieu de se serrer les coudes. Sa conclusion est sans appel : « Les femmes sont poussées à ce genre de comportement par la société ». En clair, c’est le patriarcat et non un quelconque « gène de la garce » qui est à l’origine de cette concurrence malsaine entre femmes.
Car dans un monde du travail encore largement dominé par les hommes, de nombreuses femmes ont intégré, parfois inconsciemment, qu’elles devaient lutter pour leur survie professionnelle. Surtout dans les secteurs où elles sont sous-représentées. Nouvelle recrue, collègue trop brillante, stagiaire ambitieuse… Toute femme est alors perçue comme une menace potentielle qu’il faut écarter pour protéger sa position. Les réflexes défensifs se muent en comportements offensifs, de la simple pique à la franche agression.
Résultat : d’après une étude américaine, lorsque les femmes harcèlent au travail, elles visent quasi-exclusivement d’autres femmes ! Un comble quand on sait qu’elles sont déjà les principales victimes du harcèlement perpétré par les hommes. La double peine en somme. Toute l’énergie dépensée dans ces guerres intestines est autant de perdue pour s’affirmer professionnellement. Et pendant ce temps, les hommes avancent…
Alors à qui profite le crime ? Au patriarcat pardi ! « Diviser pour mieux régner », l’adage n’a jamais été autant d’actualité que dans le cas de la rivalité féminine. Maintenir les femmes dans une insécurité permanente permet aux hommes de prospérer en toute quiétude pendant qu’elles s’épuisent à défendre leur territoire. Pire, certaines entreprises en font leur miel en laissant pourrir sciemment des situations de harcèlement avéré entre femmes, assistant au « combat de poules » comme à un spectacle. Il est grand temps que ça cesse !
Pour en finir avec cette rivalité contre-productive, un travail de déconstruction est indispensable. Il faut que les femmes prennent conscience des racines profondes de leurs insécurités, qui n’ont rien de naturel mais tout de culturel. Et ce, dès le plus jeune âge, en bannissant au sein des familles les comparaisons et le favoritisme entre filles. À nous aussi de questionner la façon dont on a intériorisé, parfois malgré nous, les stéréotypes misogynes. Difficile de ne pas se sentir en compétition quand on pense dur comme fer que « les femmes sont plus compliquées que les hommes »…
Les entreprises ont également un rôle clé à jouer. Plutôt que de laisser prospérer ces rivalités néfastes qui épuisent leurs talents, elles doivent s’attaquer aux racines du problème en luttant activement contre les inégalités femmes-hommes. Cela passe aussi par des managers et RH formés à détecter et désamorcer les situations de harcèlement entre femmes, loin de toute complaisance sexiste.
Mais au-delà, c’est un changement de paradigme qu’il nous faut. Construire une sororité réelle dans laquelle les femmes se soutiennent et se tirent vers le haut plutôt que vers le bas. Se réjouir des succès des unes et des autres au lieu de les jalouser. Comprendre que l’ennemi n’est pas en face mais au-dessus. Que la réussite d’une femme n’est pas l’échec d’une autre. Et qu’ensemble, on ira toujours plus loin que seule sur son îlot. Certaines en ont déjà pris le parti, osant la solidarité plutôt que la rivalité.
Cette sororité qu’on voit fleurir sur les réseaux sociaux doit maintenant infuser dans les open space. C’est le seul moyen pour les femmes de conquérir enfin l’égalité. Alors, chiche qu’on enterre la hache de guerre ? La prochaine fois qu’une collègue nous agace, plutôt que de monter au créneau, essayons de nous demander d’où vient ce sentiment. Et offrons-lui plutôt le café. Parions que c’est comme ça qu’on gagnera, ensemble.