Harcèlement sexuel au travail : les clés pour se relever et aller de l’avant

Chaque année, elles sont des milliers à subir harcèlement et agressions sexuelles sur leur lieu de travail. Un traumatisme d’autant plus dévastateur qu’il se produit là où l’on est censé se sentir en sécurité, entouré de collègues en qui l’on a confiance. Pour ces femmes brisées, le chemin de la reconstruction est long et semé d’embûches. Mais aussi douloureux soit-il, ce parcours est nécessaire pour se réapproprier sa vie et renouer avec une vie professionnelle épanouie. Témoignages de victimes et conseils d’expertes.

Déni, honte, culpabilité… Les sentiments qui submergent les victimes de harcèlement sexuel les enferment souvent dans le silence. Un mutisme d’autant plus pesant qu’il les isole et les empêche de réaliser l’ampleur de ce qu’elles ont subi. « Non, j’ai dû mal comprendre… » « C’est moi qui ai envoyé des signaux… » Les pensées toxiques tournent en boucle, brouillant la frontière entre le réel et l’acceptable. Pour en sortir, la première étape est d’oser mettre des mots sur l’innommable. « C’est en voyant dans le regard des autres que ce que je vivais n’était pas normal que j’ai pu en prendre conscience », raconte ainsi Emmanuelle, harcelée et agressée pendant 15 ans à La Poste.

Briser l’omerta est d’autant plus difficile que l’entourage n’a pas toujours les bonnes réactions. « Avant, quand une femme racontait ce qu’elle avait subi, on lui demandait ce qu’elle avait fait pour en arriver là ! », se souvient Marie Pezé, psychanalyste. Une suspicion culpabilisante qu’a aussi vécue Alexia, harcelée dans son agence de com. « Mes proches avaient des doutes… Heureusement, la vague #Metoo m’a aidée à leur en parler au moment où j’étais en arrêt maladie. » Comme un déclic salvateur, la libération de la parole impulsée par ce mouvement a réveillé bien des consciences. « Aujourd’hui, les victimes osent plus facilement se confier car elles savent qu’elles seront davantage crues et soutenues », constate la psychanalyste.

Décisive, cette sortie du silence ne doit pas pour autant se faire dans la précipitation. « Chaque victime avance à son rythme, insiste Sophie Binet, de la CGT. Certaines ont besoin de parler tout de suite à leurs proches quand d’autres préfèrent d’abord voir un médecin ou un psy. » L’essentiel est de ne pas rester seule et de s’entourer de personnes de confiance, qu’elles soient de la sphère privée ou professionnelle. Les syndicats et associations spécialisées sont aussi de précieux alliés. « Un syndicat peut recueillir le récit de la victime, l’aider à rassembler des preuves, l’orienter vers un médecin et l’épauler si elle veut alerter son employeur », détaille la syndicaliste. Un accompagnement qui peut aller jusqu’aux prud’hommes, comme pour Emmanuelle, soutenue par Sud PTT.

Au-delà des démarches juridiques, c’est aussi entre elles que les victimes puisent la force d’avancer. Partager son expérience avec d’autres femmes ayant traversé les mêmes épreuves est un puissant moteur de reconstruction. « Entre personnes concernées, on se comprend. Mes collègues femmes m’ont rassurée et redit que ce n’était pas de ma faute », confie Noémie, harcelée dans le monde académique. Au sein de son université, cette solidarité s’incarne au quotidien : jamais une victime ne se retrouve seule avec le harceleur, toujours une autre femme l’accompagne. Une sororité qui s’exprime aussi en ligne, sur les réseaux sociaux et les comptes « Balance ton… » qui fleurissent dans de nombreux secteurs. « Voir qu’on n’est pas les seules, que le problème ce n’est pas nous mais les agresseurs, ça aide à reprendre confiance », apprécie Alexia.

Mais pour guérir en profondeur, le soutien des proches ne suffit pas toujours. Le recours à un suivi psychologique est souvent indispensable pour se libérer de ses traumatismes. « Un thérapeute extérieur et neutre va aider la victime à mettre des mots sur ce qu’elle ressent, sans la jugement culpabilisant de l’entourage », souligne Marie Pezé. L’enjeu : lui faire comprendre qu’elle n’est en rien responsable, que le seul coupable est l’agresseur. Un long travail de déconstruction des mécanismes sexistes qui gangrènent encore le monde du travail. Pour trouver le bon psy, un annuaire des consultations « souffrance et travail » répertorie plus de 200 praticiens formés sur le sujet.

Dernière étape du processus de reconstruction : la reconnaissance du statut de victime. Si peu de femmes portent plainte, celles qui obtiennent gain de cause en justice en ressortent grandies. « L’employeur a été condamné à me verser des dommages et intérêts, un vrai bonheur qui m’a rendue plus forte pour affronter la suite », se souvient Laura, dont l’entreprise voulait la pousser à la démission. Même satisfaction pour Emmanuelle, qui a fait condamner La Poste : « Enfin on reconnaissait que j’étais une victime ! Et mon combat a inspiré d’autres salarié.e.s qui ont osé parler à leur tour ».

Reste qu’après un tel séisme, reprendre le cours « normal » de sa vie pro relève souvent du parcours du combattant. Partir ou rester ? Changer de métier ? Les questions fusent et les doutes assaillent. « Pendant mon arrêt, j’ai fait un bilan de compétences qui m’a remotivée à continuer mon métier, mais ailleurs », raconte Laura. Comme beaucoup, elle a préféré changer de crèmerie pour repartir sur de nouvelles bases. « Satisfaire des clients, être reconnue pour mon travail… Cette réconciliation professionnelle m’a fait un bien fou ! », savoure-t-elle. Alexia, elle, a carrément changé de pays en s’expatriant au Québec, où elle apprécie « un environnement plus bienveillant et une vraie prise en compte du ressenti des victimes ».

Pour se prémunir d’une rechute, mieux vaut miser sur une structure aux valeurs claires et un management respectueux. Mais soyons lucides : le risque zéro n’existe pas. « L’essentiel est d’avoir une meilleure connaissance de ses droits et des réflexes de défense pour agir vite en cas de problème », martèle Marie Pezé. Savoir identifier les « red flags », poser ses limites, s’entourer de personnes ressources… Un apprentissage salvateur que la plupart des victimes acquièrent au fil de leur reconstruction. Et qui leur permet aujourd’hui d’avancer la tête haute, fortes de cette expérience dont elles n’ont plus honte.

Bien sûr, le chemin est encore long et pavé de douleurs intimes. Malgré #Metoo, les langues peinent à se délier et les démarches restent semées d’obstacles. Porter plainte, c’est encore s’exposer aux soupçons et ruminer son traumatisme pendant des mois ou des années. Dénoncer, c’est risquer de perdre son job et se retrouver clouée au pilori par sa hiérarchie ou ses collègues. Se reconstruire, c’est accepter de revivre l’enfer en boucle le temps d’une thérapie, sans jamais être sûre d’en guérir totalement.

Malgré tout, ces femmes blessées mais debout nous montrent la voie. Par leur courage et leur ténacité, elles prouvent qu’on peut se relever des pires épreuves et retrouver foi en soi et en l’avenir. Le plus bel exemple de résilience qui soit. Alors à toutes celles qui se terrent encore dans la peur et la culpabilité, elles ont un message : osez parler, demander de l’aide, porter plainte. Vous n’êtes pas seules. Et ensemble, pas à pas, on va y arriver !