Conciliation, partage des tâches, partage du pouvoir… Autant d’enjeux qui cristallisent les tensions dans les couples hétéros, et freinent encore trop souvent les carrières féminines. Deux ouvrages sortis récemment explorent ce lien intime entre sphère privée et sphère professionnelle, et son rôle clé dans la perpétuation des inégalités de genre au travail. Le couple hétérosexuel serait-il au cœur du problème ? La réponse est oui, et il est temps d’en faire un sujet politique !
Avant, pendant, après : la persistance du modèle patriarcal
Premier pavé dans la mare, « Le prix à payer » de Lucile Quillet dresse un réquisitoire implacable contre les inégalités structurelles au sein du couple hétéro. Des inégalités qui plombent durablement les parcours des femmes :
- Avant : le coût de la séduction et des stéréotypes de genre, avec son lot d’injonctions à la féminité et à la disponibilité
- Pendant : le sacrifice de la carrière sur l’autel de la famille, entre plafond de verre et plancher collant
- Après : la paupérisation liée aux séparations et au veuvage, qui révèle brutalement la dépendance économique des femmes
Un modèle patriarcal qui a la vie dure, fondé sur un contrat tacite : la protection masculine en échange de l’obéissance féminine. Et sur le travail gratuit des femmes, largement invisibilisé.
Madame PQ et Monsieur Voiture : des dépenses genrées
Autre ressort de cette arnaque conjugale : la structure inégalitaire des dépenses, finement documentée par l’autrice. Une réalité trop souvent occultée :
- Aux hommes les achats visibles, durables et valorisés : voiture, high-tech, investissement immobilier…
- Aux femmes les dépenses invisibles du quotidien : courses, produits d’entretien… Des achats éphémères qui ne capitalisent pas
- Résultat : un fossé patrimonial qui se creuse au fil de la vie de couple, au détriment des femmes
Une double peine pour celles qui subissent en parallèle le fameux « gender pay gap », soit un salaire inférieur à diplôme et poste égal. Clairement, le couple hétéro est tout sauf un long fleuve tranquille pour les compagnes !
Le défi des couples à double carrière à l’épreuve du réel
Autre ouvrage, autre angle : dans « Nous réussirons ensemble », Anne-Cécile Sarfati explore les dessous des couples à double carrière. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’équilibre est précaire :
- Des discours volontaristes et égalitaires, qui se heurtent vite aux réalités matérielles du quotidien
- La prégnance du modèle de « Monsieur Gagnepain », avec une femme qui reste perçue comme une variable d’ajustement
- Le poids des normes managériales, qui valorisent le présentéisme et la mobilité, au détriment des mères actives
Décalage entre les convictions et le vécu, conflits larvés, tensions exacerbées par le télétravail… Pour l’autrice, le couple est un véritable « champ de bataille » pour les femmes féministes. Un constat qui résonne particulièrement en cette période post-Covid.
Changer la donne : un enjeu sociétal et politique
Face à ce sombre tableau, une certitude : seul un sursaut collectif et des politiques publiques ambitieuses permettront de faire bouger les lignes. Quelques leviers identifiés par nos deux autrices :
- Allonger le congé paternité pour encourager un meilleur partage de la parentalité dès la naissance de l’enfant
- Revaloriser les métiers du soin et de l’éducation, largement féminisés et sous-payés
- Développer massivement les services publics de garde pour soulager la « double journée » des mères actives
- Faire évoluer le droit, la fiscalité et les mentalités pour en finir avec les stéréotypes sexistes au travail et dans le couple
Car il en va de la justice sociale comme de la performance économique : une société plus égalitaire est une société où les talents féminins peuvent s’épanouir, au bénéfice de tous. Le privé est définitivement politique !
S’attaquer au rôle du couple hétéro dans les inégalités professionnelles, c’est se donner les moyens de construire une société du travail réellement inclusive. Un défi majeur à l’heure où les femmes constituent un vivier stratégique de compétences face aux pénuries qui s’annoncent. Et une formidable opportunité de réinventer nos organisations, pour les rendre enfin compatibles avec une vie de famille épanouie.
À nous de transformer l’essai, en misant sur des nouveaux modèles amoureux et conjugaux, plus solidaires et émancipateurs. Avec un mot d’ordre : le féminisme comme boussole, pour faire du couple un moteur de réussite partagée. La promesse d’un monde où je t’aime rimerait enfin avec égalité !