RH au féminin : quand les stéréotypes de genre façonnent encore les carrières

Difficile de passer à côté du constat : le monde des ressources humaines est majoritairement féminin. Avec 63% de femmes, les RH font figure d’exception dans le paysage professionnel où les hommes trustent encore les postes à haute responsabilité. Mais cette apparente success-story cache une réalité plus ambivalente. Car si les femmes sont légion dans les RH, c’est aussi le fruit d’une longue histoire façonnée par les stéréotypes de genre et les inégalités professionnelles. Décryptage d’un « cas d’école » révélateur de la place des femmes au travail.

Première explication souvent avancée à cette féminisation : les RH seraient « par nature » un métier de femmes. La preuve, dans les formations dédiées, elles représentent 75% des effectifs ! Sens de l’écoute, empathie, bienveillance… les « softskills » réputées féminines seraient un atout clé pour gérer les relations humaines. Sauf que l’argument ne tient pas. « La fonction RH n’est pas féminine à l’origine ! », rappelle Caroline Diard, enseignante-chercheuse en management des RH. Jusque dans les années 90, le métier était même trusté par des hommes issus d’écoles d’ingénieurs ou de la finance. Preuve que la gestion du « capital humain » n’a rien d’une prédisposition génétique féminine.

Ce qui a changé la donne, c’est l’ouverture de formations spécifiquement RH dans les années 90. En mettant l’accent sur les aspects psycho-sociaux plutôt que financiers, elles ont attiré en masse les étudiantes, souvent rebutées par les filières trop « matheux ». Une orientation genrée symptomatique du phénomène de « ghettoïsation » des métiers dénoncé par l’Observatoire SKEMA de la féminisation des entreprises. Car malgré les efforts de mixité, les filles s’orientent encore majoritairement vers les masters RH ou marketing quand les garçons plébiscitent la finance ou le business. À diplôme égal, elles négocient aussi moins bien leur salaire. Les réflexes ont la vie dure…

D’autant que même au sein de la fonction RH, la répartition des rôles reste très stéréotypée. Administration RH, développement RH… Les femmes occupent massivement les postes moins stratégiques et valorisés. À l’inverse, elles ne représentent « que » 59% des DRH alors qu’elles constituent les 3/4 des effectifs ! Un plafond de verre qui n’étonne guère Caroline Diard : « Les hommes n’ont pas lâché le pouvoir. Les postes de DRH sont très stratégiques, et pas toujours donnés à des profils RH ». Souvent, la présence d’une femme DRH sert surtout d’alibi paritaire dans les Comex… sans remettre en cause le monopole des hommes sur les fonctions business et techniques.

Quand elles accèdent enfin au graal, les femmes DRH doivent aussi composer avec le spectre de la « falaise de verre ». Comprenez : être promues sur un siège éjectable en période de crise. Un phénomène vécu par Bénédicte Tilloy, ex-DRH de la SNCF : « J’avais conscience que mon poste était casse-gueule mais on m’a laissé carte blanche. J’y suis restée 6 ans, preuve que je ne m’en suis pas trop mal sortie ». Pour notre experte, les femmes DRH sont reconnues pour leur courage et leur capacité à renouer le dialogue social, quitte à jouer leur propre tête. Un rôle d' »équilibriste » dans lequel elles excellent mais qui les soumet à des injonctions paradoxales permanentes.

Car en dépit des clichés, les RH ne se résument pas à « panser les plaies » en attendant que les hommes prennent les décisions qui fâchent. « La vision d’un DRH qui ne ferait qu’exécuter le plan du PDG est datée », affirme Bénédicte Tilloy. Aujourd’hui, les RH sont au cœur des enjeux business. En première ligne sur des sujets brûlants comme le recrutement, l’engagement ou la conduite du changement, les femmes DRH gagnent en leadership et en visibilité. De vraies influenceuses suivies par des milliers de personnes sur les réseaux ! De quoi casser les codes et inciter plus d’hommes à rejoindre la filière ?

L’avenir le dira. En attendant, le cas des RH est emblématique du chemin qu’il reste à parcourir pour une réelle égalité. Malgré leur écrasante majorité, les femmes restent encore coincées dans certaines cases (admin, développement RH…) quand les hommes gardent la main sur les postes stratégiques et le business. Un « miroir grossissant » des inégalités pro révélateur. Pour en sortir, Caroline Diard appelle à casser les stéréotypes dans les deux sens : autant inciter les filles à s’orienter vers la finance que les garçons vers les RH ! Un double mouvement indispensable pour en finir avec les bastions genrés. Et permettre à toutes et tous de déployer enfin leurs ailes, au-delà des clichés…