Chômage, précarité, violences… Partout dans le monde, la crise sanitaire a frappé les femmes de plein fouet, mettant en lumière la fragilité de leur situation sur le marché du travail et dans la sphère privée. Aux États-Unis, le phénomène est tel qu’on parle de « Shecession », contraction de « she » (elle) et « recession ». La formule dit bien cette récession au féminin, qui menace des décennies de progrès en matière d’égalité professionnelle. Décryptage d’un retour en arrière inquiétant.
Le tsunami du chômage féminin, de l’Occident à l’Asie
Premier constat alarmant : les femmes ont payé un lourd tribut sur le front de l’emploi, bien plus lourd que les hommes. Un phénomène quasi universel, des deux côtés de l’Atlantique jusqu’en Asie :
- Aux États-Unis, l’emploi féminin a chuté de 11,3 millions en 2020, avec 2,2 millions de femmes contraintes de quitter le marché du travail
- En Europe, les femmes ont été surreprésentées dans les secteurs les plus affectés par les confinements : services, tourisme, distribution…
- Au Japon, déjà lanterne rouge de l’égalité, le sous-emploi des femmes s’est accentué, avec des conséquences dramatiques sur les suicides féminins (+15%)
Une hécatombe qui s’explique par la forte présence des femmes dans les métiers dits « de première ligne », peu qualifiés et précaires. Mais aussi par le poids persistant des responsabilités familiales qui contraint de nombreuses mères à renoncer à leur emploi, faute de solutions de garde.
Dans les pays en développement, précarité et recul des droits des filles
Dans les pays émergents, l’absence de protection sociale et la part élevée des femmes dans l’économie informelle rendent les travailleuses encore plus vulnérables face à la récession :
- En Inde, les trois quarts des femmes occupent des emplois non déclarés : travailleuses domestiques, vendeuses de rue… Les premières victimes du confinement
- Pour des millions de petites filles, la crise économique et la fermeture des écoles font resurgir le spectre des mariages forcés et du travail infantile
- Les transferts d’argent des travailleuses immigrées vers leur pays d’origine ont chuté de 14% en 2020, un record historique lourd de conséquences
Derrière ces chiffres, ce sont des destins individuels brisés et des familles entières précipitées dans la pauvreté. Avec un terrible effet domino qui compromet la scolarisation et l’avenir des filles.
Le mirage du télétravail, ou le piège de l’enfermement domestique
Mais qu’en est-il des pays riches, où le travail à distance s’est imposé comme la norme ? Là encore, le bilan est amer pour la gent féminine, même chez les cadres et professions supérieures :
- À poste égal, les femmes en télétravail disposent deux fois moins souvent d’un espace dédié au travail que les hommes
- Elles subissent davantage d’interruptions liées aux tâches domestiques et à la présence des enfants, peinant à « déconnecter »
- Dans l’environnement numérique, leur parole est moins écoutée : -30% de prises de parole en réunion pour les femmes (étude BCG)
Loin d’être un levier d’égalité, le télétravail piège les femmes dans les rôles traditionnels de mère et de « fée du logis », creusant le fossé avec leurs collègues masculins. Une double peine, entre plafond de verre et plancher collant !
Face à cette sombre réalité, une urgence s’impose : remobiliser tous les acteurs pour endiguer cette épidémie silencieuse d’inégalités. Aux entreprises d’abord, qui doivent intensifier leurs efforts en matière d’égalité salariale, de mixité des métiers et d’articulation des temps de vie. Aux pouvoirs publics ensuite, qui doivent renforcer et pérenniser les dispositifs de soutien à l’emploi des femmes, de la formation aux modes de garde. A chacun enfin, pour déconstruire les stéréotypes sexistes et redistribuer la charge mentale dans la sphère privée.
Il en va de notre responsabilité collective. Car ne nous y trompons pas : la « Shecession » ne menace pas seulement les femmes. C’est le progrès social et le dynamisme de nos économies qui sont en jeu. L’égalité n’est pas un luxe mais une boussole pour une société plus juste et résiliente. Œuvrons sans relâche pour que cette crise soit une opportunité de transformation plutôt qu’une impasse !