Interrompues plus souvent, moins citées, sous-estimées… Malgré des compétences équivalentes, les femmes peinent encore à asseoir leur légitimité dans les sphères décisionnelles. La faute à un « fossé d’autorité » qui sape insidieusement leur crédibilité et leur influence. C’est la thèse de la journaliste britannique Mary Ann Sieghart dans son ouvrage « The Authority Gap ». Un décryptage édifiant des ressorts intimes de la domination masculine, qui appelle à repenser urgemment nos biais sur le leadership au féminin.
Le privilège invisible de « nager dans le sens du courant »
Premier constat posé par l’autrice : hommes et femmes ne jouent pas à armes égales quand il s’agit de faire reconnaître leur expertise. Un décalage manifeste dans les réactions suscitées par son projet de livre :
- Enthousiasme unanime des femmes, qui se retrouvent immédiatement dans cette expérience de délégitimation
- Scepticisme poli des hommes, qui peinent à percevoir la réalité et l’actualité du problème
- Une asymétrie révélatrice du gouffre qui sépare le vécu des deux sexes en matière d’autorité
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : un privilège masculin devenu invisible, celui de pouvoir « nager dans le sens du courant » quand les femmes doivent sans cesse résister à un puissant contre-courant. Effort épuisant et ingrat, dont elles sortent rarement gagnantes.
Brillantes ou bosseuses : des compliments à géométrie variable
Autre symptôme du fossé d’autorité : le vocabulaire employé pour qualifier les mérites respectifs des hommes et des femmes. Dès le plus jeune âge, les filles sont présentées comme sérieuses et appliquées quand les garçons brillent par leur génie :
- Aux unes la valeur travail, qui sous-entend souvent un manque de talent naturel
- Aux autres les éloges de l’intelligence pure, synonyme de potentiel et de supériorité
- Une opposition artificielle qui conditionne durablement la confiance et l’ambition de chaque sexe
Résultat : les femmes grandissent avec le sentiment d’une moindre légitimité intellectuelle, les poussant à sans cesse prouver leur valeur. Quand les hommes, eux, partent avec un a priori positif sur leurs capacités.
Empathie ou charisme : l’impossible équation des leaders féminins
Cette présomption d’incompétence pèse lourd quand vient le moment de prendre le pouvoir. Car pour être adoubées, les femmes doivent se plier à des injonctions contradictoires :
- Faire preuve d’assertivité et de confiance en soi, sous peine d’apparaître trop fragiles pour diriger
- Cultiver dans le même temps la douceur et l’abnégation attendues de leur sexe, pour ne pas déplaire
- Un numéro d’équilibriste qui contraint les femmes à marcher sur des œufs, quand les hommes peuvent avancer sans entraves
Trop autoritaires ou pas assez, trop ambitieuses ou trop discrètes… Quel que soit leur style, les patronnes essuient plus de critiques ad hominem que leurs alter egos masculins. Et gare à celles qui osent négocier une augmentation aussi âprement qu’eux !
Leadership au féminin : et si la solution venait des hommes ?
Face à cette injustice, la tentation est grande d’exhorter les femmes à « s’imposer » davantage pour se faire entendre. Un conseil aussi simpliste qu’hypocrite pour l’autrice :
- Si la solution était si évidente, le problème ne se poserait plus depuis longtemps…
- Plutôt que de les enjoindre à singer les attitudes masculines, encourageons l’humilité chez ces messieurs !
- Car le leadership n’est pas un jeu à somme nulle : féminiser le pouvoir, c’est le rendre plus collaboratif et apprenant pour tous
Les études l’attestent : la mixité est un formidable levier de performance pour les organisations. Celles qui comptent le plus de femmes dirigeantes affichent des profits et une croissance supérieurs. Tout le monde a donc intérêt à combler ce gender gap de l’autorité !
Pour y parvenir, une prise de conscience collective s’impose : le déficit de crédibilité qui frappe les femmes de pouvoir n’est ni une fatalité, ni leur responsabilité. C’est le fruit d’un système de domination insidieux, qui imprègne nos biais et sacralise la toute puissance virile. Déconstruire ce modèle toxique est l’affaire de tous, à commencer par ceux qui en tirent aujourd’hui les bénéfices.
Alors messieurs, soyez des alliés ! Écoutez ce que les femmes ont à dire sur leur ressenti, amplifiez leur voix en réunion, créditez-les de leurs idées… Bref, prêtez-leur un peu de votre capital sympathie si généreusement accordé par la société. C’est à ce prix que nous pourrons bâtir des organisations réellement inclusives, où talents féminins et masculins pourront enfin s’épanouir à égalité. Un leadership dégenré et décomplexé, ça vous tente ?